Prédication du 12 novembre, "Devenir artisan.e de paix"

Matthieu 5 : 9

Heureux ceux qui font œuvre de paix : ils seront appelés fils de Dieu.

 

Devenir artisan.e de la paix

La paix, c’est comme la santé. Quand on veut la définir en 3 mots, c’est simple : absence de maladie / absence de guerre.

 

Mais quand on a dit cela, on n’a encore rien dit. La paix, c’est bien plus que l’absence de guerre, même si on en rêve.

 

Peut-être peut-on appréhender plus largement la notion de paix en empruntant une double approche, individuelle et collective.

 

La paix, quand on la pense pour soi, quand on la pense individuellement, elle résonne avec les notions de calme, d’harmonie, de repos. Avoir la paix, vivre dans la paix, avoir la conscience en paix. Des expressions qui, outre le calme, suggèrent une certaine passivité. La paix, on la laisse venir en soi.

 

Quand on la pense collectivement, la paix évoque bien sûr l’absence de guerre. Mais les expressions sont tout autres. On lutte pour la paix dans le monde, on la négocie lors d’un conflit, on chante les mérites de la paix sociale. Elle engage alors à l’activité et à l’engagement. La paix n’advient pas toute seule.

 

Dans la Bible, on évoque souvent la paix, שלום en hébreu, ειρήνη en grec.

 

Et cette paix-là, elle est à la croisée de nos conceptions modernes pour dire tout à la fois une harmonie qui est vécue à l’intérieur de soi, mais aussi dans nos relations aux autres, avec Dieu, au sein de la création. Plus que comme un état, elle apparaît comme une quête permanente ou, plus exactement, comme une attention de tous les instants. Connaître la paix, c’est alors vivre quelque chose de l’ordre de l’intégrité, de la plénitude.

 

Dans les évangiles, on l’a réentendu, Jésus nous dit : « Heureux ceux qui font œuvre de paix : ils seront appelés fils de Dieu. »

 

Ça a l’air tout simple. Mais, dans le fond, que veut-il dire ?

Pour essayer de le comprendre, je commence par m’arrêter sur le premier mot de cette petite phrase « Heureux ».

 

Vous le savez sans doute déjà, ce mot, il implique bien plus que les petites ridules qui se dessinent au coin de nos yeux lorsque nous sourions, voire lorsque nous rions.

 

Si l’on remonte à l’étymologie hébraïque de ce mot, אָשֵׁר, c’est le prénom du 8ème fils de Jacob, un fils qu’il a eu avec une des servantes de Léa. Et ce prénom signifie « bonheur » parce que Léa dit de lui : « Il est né pour mon bonheur ».

 

Mais ce même prénom est aussi un verbe qui signifie « marcher droit, aller de l’avant, foncer ». C’est en ayant cela à l’esprit qu’André Chouraqui, bien connu pour sa traduction du 1er testament, traduit les béatitudes en commençant, chacune d’elle, non par « heureux », mais par « en marche ».

 

C’est assez subtil, parce que cela révèle le dynamisme qui est niché dans les béatitudes.

Elles ne sont pas là pour vautrer l’homme dans le misérabilisme : heureux les pauvres de coeur, les doux, ceux qui pleurent, etc… Il ne s’agit pas, dans ces mots, de vanter des situations de fragilité ou d’inconfort.

Parce que chacune des béatitudes comporte un constat et une action. Il y a des pauvres de coeur, des doux, des pleureurs ; c’est un constat, c’est un fait.

 

Mais cela ne saurait être l’horizon de la vie. D’où l’action : « Le Royaume des cieux est à eux, ils auront la terre en partage, ils seront consolés. » C’est dire que dans les béatitudes, la situation initiale est toujours appelée soit à évoluer soit à être totalement changée.

 

« En marche ceux qui font œuvre de paix : ils seront appelés fils de Dieu. »

 

L’Évangile n’en appelle pas au statut quo d’un monde en perdition. Il en appelle au dynamisme divin qui est créateur de vie. Les artisans de paix ne sont donc pas tant ceux qui neutralisent les problèmes, que ceux qui créent les conditions d’une vie en plénitude. Ils et elles agissent pour que le monde se tisse d’une manière harmonieuse.

 

C’est ce qu’a fait Jésus. Nous assurant de cette bonne nouvelle

  •  Il est possible de vivre en harmonie les uns avec les autres.
  • Il est possible, et même souhaitable, de dépasser la loi du talion.

Telle est la voie qu’il nous propose. Sachant bien sûr que nous pouvons opter pour une alternative : mourir comme des imbéciles en nous battant les uns contre les autres.

 

Cela dit…

J’aimerais poursuivre en évoquant 2 dates.

 

Tout d’abord, le 3 décembre 1976. Je ne sais pas si elle vous dit quelque chose. Ce jour-là, Bob Marley, célèbre musicien reggae de Jamaïque, est victime d’une tentative d’assassinat. C’est 2 jours avant sa participation à un concert visant à promouvoir la paix et à calmer l’explosion des violences dans son pays. Cette tentative de meurtre sur sa personne échoue, même s’il est blessé. Par contre, il y a plusieurs morts dans son entourage proche.

 

Le 5 décembre, malgré la mort de ses proches et ses blessures, il participe au concert. Et à ceux qui lui demandent pourquoi il est là, malgré les circonstances, il a répondu : « Les personnes qui veulent rendre le monde encore plus mauvais qu’il n’est déjà ne prennent jamais de congé. Pourquoi en prendrais-je ? »

 

2ème date peut-être plus familière : le 11 novembre 1918. Il y a 105 ans tout juste/ à un jour près.

 

L’armistice est signé marquant la fin de la première guerre mondiale, cette Grande Guerre comme on l’a appelée. Sans entrer dans la guerre des chiffres, c’est plusieurs millions de morts et de disparus, 18 millions selon certaines sources, dont la moitié de civils.

 

Je ne vais pas récapituler tous les endroits de la terre aujourd’hui marqués par des conflits. Mais cela pose une question très concrète : être artisan de paix, c’est faire quoi ? On ne va pas prendre congé, mais on fait quoi ?

 

En repensant à l’attitude de Jésus, deux éléments me viennent à l’esprit.

 

Être artisan, artisane de paix, c’est sortir de soi. Sortir de son petit monde, fût-il confortable, pour aller à la frontière rencontrer des hommes, des femmes, des enfants qui sont barricadés et qui ont besoin de libertés ; qui sont mis à part et qui ont besoin de mains tendues.

 

Je ne vous dis évidemment pas d’aller au front. Mais, comme Jésus, d’aller au-delà de soi, au-delà du raisonnable, au-delà de la bien-pensance, au-delà de nos peurs, de nos représentations, des limites que l’on ne questionne plus.

 

Combien de Samaritaines, de syro-phéniciennes, de lépreux, de veuves, de malades, de péagers d’aujourd’hui pourraient voir l’une de leurs journées éclairées par un sourire, une main tendue, des mots échangés, un café partagé, un élan de poésie ?

 

Sortir de chez nous et aller au-devant de tous ces autres en prenant conscience, au plus profond de nous, de la paix de Dieu.

 

Comme le rappelle Paul, c’est à la paix du Christ que nous sommes appelés. Et comme le disait Esaïe, Dieu lui-même nous donne la paix.

 

Nous sommes toutes et tous capables d’être artisan.e.s de la paix car la paix de Dieu pré-existe en nous.

 

Nous n’avons qu’à la décliner à notre juste mesure.

 

Amen