Prédication du 19 novembre, "Repose en paix, vivons en paix"

Lecture du psaume 32 : 22 à 24

Béni sois-tu Seigneur, de m'avoir montré ton admirable bonté, à moi qui étais comme une ville assiégée.

J'étais troublé, au point de dire : « Me voilà chassé loin de ton regard. » Mais tu m'as entendu quand je te suppliais, quand je t'appelais à mon secours.

Aimez le Seigneur, vous tous qui lui êtes fidèles, car le Seigneur veille sur ceux qui croient en lui.

 

Lecture de Jean 14 : 1 à 7 + 27

« Que votre cœur ne se trouble pas : vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. 

Dans la maison de mon Père, il y a beaucoup de demeures : sinon vous aurais-je dit que j’allais vous préparer le lieu où vous serez ? Lorsque je serai allé vous le préparer, je reviendrai et je vous prendrai avec moi, si bien que là où je suis, vous serez vous aussi. Quant au lieu où je vais, vous en savez le chemin. » 

Thomas lui dit : « Seigneur, nous ne savons même pas où tu vas, comment en connaîtrions-nous le chemin ? » Jésus lui dit : « Je suis le chemin et la vérité et la vie. Personne ne va au Père si ce n’est par moi. 

Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père. Dès à présent vous le connaissez et vous l’avez vu. Croyez-moi, je suis dans le Père, et le Père est en moi. »

… Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur cesse de se troubler et de craindre.

 

 

Prédication : « Repose en paix, vivons en paix. »

Des fois, quand j’entends Jésus, j’ai l’impression d’entendre ma mère, paix à son âme. Elle qui, tout au long de l’éducation qu’elle m’a donnée, s’est attachée à m’apprendre le lâcher-prise et la confiance parce que, selon ses mots, « tu fais le mieux que tu peux et pour le reste, tu comptes sur Dieu ». Elle avait cette confiance qu’on n’est jamais seul. Même quand on en a l’impression. Et je dois avouer qu’à sa suite, je ressens régulièrement le fait de ne pas être seule. Je me sens portée. Les forces me sont données, malgré moi.

Alors, pas d’action spectaculaire de Dieu dans ma vie. Pas de baguette magique.Mais la perception d’une présence, parfois fugace, mais néanmoins réelle, habite chacune de mes journées.

Quand Jésus s’adresse à ses disciples et leur dit : « Que votre cœur ne se trouble pas. » Il s’adresse à eux comme une mère qui dirait : « Ne t’inquiète pas, mon petit. Du calme, ma puce. »

Et c’est pareil lorsque, plus loin, il dit : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. … Que votre cœur cesse de se troubler et de craindre. »

Pour moi, c’est toujours saisissant de réaliser que ces mots ne sont pas les mots d’un vainqueur, sur le champ de ruines d’une après-guerre, mais ceux d’un condamné à mort.

Cette paix que Jésus a reçue de Dieu et qu’il transmet à ses disciples, qu’il nous transmet, n’est ainsi pas une paix qui donne l’illusion que nous pourrions échapper à la souffrance et au mal. C’est une paix qui s’enracine dans le no man’s land de nos exils et le tourbillon de nos angoisses. Ça en fait toute la force. Il n’est pas raisonnable de l’attendre ; mais elle est là, contre vents et marées ; à contre-pied.

Pour en revenir à la tonalité de Jésus, quelle douceur dans ses mots et dans son attitude. Quel climat de paix, il est capable d’insuffler alors même qu’il va au calvaire et que l’angoisse de la séparation gagne le cœur des disciples.

Ils n’ont pas conscience de tout ce qui va arriver. Mais déjà, Jésus a partagé son dernier repas avec eux ; déjà, il leur a lavé les pieds ; déjà, il leur a annoncé son départ. Alors, probablement inconsciemment, ils en appellent au côté maternel de leur maître et ami. À sa bienveillance. Comme lorsqu’enfants, nous avions encore juste une dernière question ou un dernier truc à dire avant que l’un ou l’autre de nos parents n’éteigne la lumière et ne referme la porte de notre chambre pour la nuit.

Elle est ancestrale, cette peur de la séparation. Même si c’est l’acte premier qui nous fait exister : sortir du ventre de notre mère pour naître au monde.

La peur de la séparation. La peur du manque. La déchirure. Ça fait tellement mal.

Dans ce récit de l’évangile, Jésus nous donne des clés pour vivre avec, pour vivre malgré, pour vivre après … Ces clés, elles se nichent au cœur des 3 termes avec lesquels il dit quelque chose de son identité : le chemin, la vérité, la vie.

En disant qu’il est le chemin, Jésus nous invite à faire de la foi, de la quête de Dieu, de la quête du sens, une démarche, une recherche, un périple, une découverte.

Étant le chemin, il n’est pas le but qui, une fois atteint, nous permet de nous arrêter, de nous immobiliser, d’en rester là avec l’impression que nous avons tout ce dont nous avons besoin pour vivre le restant de nos jours.

Il n’est pas non plus l’itinéraire si bien balisé que nous n’ayons pas à nous demander où nous mettons les pieds.

J’aime cette pensée du rabbin Nahman de Breslav : « Ne demande jamais ton chemin à celui qui le connaît, tu risquerais de ne pas t’égarer. »

En se présentant comme le chemin, Jésus nous dit que notre vie de foi, notre vie tout court, est faite de mouvements, de dynamisme. De haut et de bas. Par moment d’autoroutes, par d’autres de sentiers escarpés. Mais c’est en marchant que l’itinéraire de nos vies se découvre peu à peu.

Une manière de nous rappeler que notre identité profonde ne se joue pas uniquement dans nos origines mais aussi dans notre capacité à nous laisser mettre en mouvement et à avancer.

Le rappel aussi que s’il n’est pas bon de vouloir rester figés dans nos réussites. Dans les moments de deuils, de souffrance, de douleur, il n’est pas bon non plus de rester englués dans notre peine.

 

La vérité.

Si Jésus est la vérité, cela signifie en premier lieu que la vérité s’incarne en une personne. Elle ne résume donc pas à un paquet de dogmes auxquels il faudrait croire sans poser de questions. On chemine avec la vérité.

En grec, vérité se dit αλήθεια.

De même que le français connaît le -a- privatif, ce mot grec commence par un α privatif. Puis vient la racine, “léthè“ qui signifie l’oubli.

La vérité, c’est donc littéralement l’absence de l’oubli.

Jean d’Ormesson donne un écho à cette parole d’évangile par une citation qu’on lit toutes les semaines dans les annonces mortuaires : « Il y a quelque chose de plus fort que la mort, c’est la présence des absents dans la mémoire des vivants ».

Je suis la vie. C’est la parole de Jésus la plus difficile à entendre quand on traverse un deuil. Ou que l’on vit à une période secouée par des conflits.

De quelle vie Jésus parle-t-il ? D’une vie après la vie ?

Beaucoup parmi nos contemporains pensent que Jésus est venu pour cela : pour nous parler d’une autre vie. D’une vie après la vie, d’une vie après la mort.

C’est probable, mais ce n’est pas tout.

Jésus n’a jamais demandé de subir la vie ici-bas en attendant celle d’en haut. Au contraire, il a toujours encouragé à rechercher la vie en abondance.

La vie en abondance, c’est une vie où nous cultivons la conscience que chaque instant que nous vivons est unique et que nous investissons pleinement cet instant. Quoi que nous ayons à vivre.

Vivre dans l’instant, en pleine conscience. Devant Dieu et devant les humains, telle est une vie en abondance.

Le lien entre tout cela : deuil, calvaire, paix, chemin, vérité, vie, Jésus nous le donne avec cette parole : « Croyez-moi, je suis dans le Père, et le Père est en moi. Je suis en vous, vous êtes en moi.» En Jésus-Christ, il y a une imbrication de tous les acteurs du Vivant. Et c’est sans doute ainsi que nous défions la mort.

Lorsque celui ou celle qui nous a donné l’essentiel, nous a marqué jusqu’au plus profond de nous, qu’est-ce qui peut nous séparer de lui ou d’elle ? Un lien perdure.. Et face à tout ce qui nous attend encore, il nous permet d’être fidèle non au cimetière des souvenirs mais à l’attente de l’inespéré.

Amen