Prédication du 3 décembre, "Tu seras bénie par la maternité"

Il était tant attendu… C’est par une journée ensoleillée qu’il est arrivé, pour le plus grand bonheur de Justine et Alexandre, ses parents. Gabriel est né le 15 novembre 2023. Il pèse 3,45 kg et mesure 50 cm.

En voilà un heureux événement ! La naissance d’un bébé. C’est la vie qui se révèle à nous, la joie d’un nouveau membre dans la famille, l’opportunité de nouveaux liens, la promesse pour les amis et les proches d’interactions mignonnes et cocasses…

« Il était tant attendu… ». Une vraie bonne nouvelle, ça nous change… ça tombe bien d’ailleurs, à la veille de cette période de l’Avent.

Marie, modèle pour toutes ?

Marie de Nazareth, elle, a vu sa propre grossesse annoncée par un ange – les nouvelles vont vite à l’heure des smartphones, mais pas aussi vite que les anges. Elle aussi a été longtemps attendue ! Ce n’est pas rien, cette histoire, car malgré tout ce qu’on peut en dire, sans elle, point de salut ! Elle a mis au monde le Sauveur, le Messie, le Fils de Dieu. Une grossesse extraordinaire qui a paradoxalement servi de modèle à tant d’autres après elle. Modèle de perfection, d’acceptation – pour ne pas dire de soumission – qui a fait que souvent on tente de s’écarter de cette figure, de l’éviter, de ne pas en parler…

Mais aujourd’hui, nous allons en parler. Nous allons ensemble décortiquer la question de l’injonction à la maternité. Car l’heure est grave : vous l’avez entendu, nous sommes ici confronté-e-s à trois textes bibliques qui invitent à comprendre la maternité comme une bénédiction, pour ne pas dire une véritable voie de salut, et ce, pour toutes les femmes.

Il y a bien sûr l’immensément célèbre récit dont nous venons de parler, celui de l’annonce à Marie de sa grossesse, prélude indispensable au salut du monde, si discuté, si encensé pendant des siècles parce qu’il dépeindrait prétendument la perfection féminine : celle qui se soumet à son destin assigné, au travers de la mise au monde d’un enfant. Et encore, s’il n’y avait que ça !

En effet, lorsqu’on parle d’injonction à la maternité, on ne peut pas passer à côté du passage de la lettre à Timothée, qu’on a entendu tout à l’heure. Si on se fie à ce texte, les femmes se placent dans la droite ligne de la fécondité d’Eve : l’auteur affirme que celle-ci sera sauvée par la maternité, embrassant au passage toutes les femmes, qu’il invitait d’ailleurs à réduire au silence quelques lignes avant (je vous en ai fait grâce de la lecture, cela aurait été dommage de vous inciter à ne pas m’écouter) !

Nous avons aussi entendu les paroles du texte de Deutéronome 30, qui appellent à choisir entre la vie et la mort, texte qui est encore aujourd’hui utilisé dans les argumentaires des groupes anti-avortement – qu’on dit « pro-vie », par opposition aux « pro-choix », qui défendent quant à eux le droit à l’avortement.

Mais alors, et c’est de là que part notre question, s’il est écrit dans la Bible qu’Eve, et toute femme après elle, est sauvée par la maternité, si Marie est le modèle par excellence de la fémininité, si en tout temps il faut « choisir la vie » dans le sens de la fécondité, de la procréation, alors nous devrions toutes vouloir des enfants, à défaut de pouvoir en avoir, ce qui n’est pas donné à tout le monde !

Mais c’est sans compter la voix de celles qui ne veulent pas d’enfants pour tout un tas de raisons qui leur appartiennent ; sans parler du cri, souvent silencieux, de celles qui regrettent d’avoir des enfants. Nous avons donc un problème. Est-ce que ces textes sont complétement dépassés ? Est-ce qu’on s’arrête là, parce qu’on voit bien que tout cela ne fait pas sens ? Bien évidemment que non. J’espère arriver à le faire comprendre : s’arrêter là, c’est faire de la mauvaise théologie. Mais reprenons depuis le début, parce que la question demeure délicate.

Une bonne nouvelle qui n’en est pas toujours une

Je ne vous apprends rien : avoir un enfant, c’est une forme de bénédiction sociale, dans le sens que c’est attendu, aujourd’hui comme hier. Je le sais moi-même, qui arrive à l’âge où l’on commence à faire des enfants : on me pose de plus en plus souvent la question.

Dans la Bible, cette attente est encore plus marquée. Elle correspond à un contexte sociétal, qui répond à une nécessité de survie, de perpétuation. Souvent, la maternité est d’ailleurs considérée comme la bénédiction de Dieu dans la Bible, comme la paternité l’est pour les hommes. L’enjeu, pour les familles, c’est d’avoir une descendance, que le patrimoine puisse se transmettre de génération en génération. Le rôle des femmes pour cela est de mettre au monde des enfants.

Notre contexte social a passablement évolué depuis ce temps. Pour une part, nous avons pu dissocier la sexualité de la procréation grâce à la contraception et ainsi nous permettre de faire plus facilement le choix d’avoir ou non des enfants.

Nous avons aussi pris conscience de l’attente sociale liée au fait d’avoir des enfants, qui pèse en particulier sur les femmes, pour lesquelles cela a été durant longtemps la manière la plus évidente de contribuer à la société. Les pressions sociales liées à la maternité, mais aussi celles qui accompagnent l’éducation des enfants, la solitude des jeunes mères, la question des doubles journées et de charge mentale qui bien souvent retombe sur les femmes, tout cela invite à aussi voir la maternité non comme une bénédiction unilatéralement donnée à toutes celles pour qui les conditions seraient réunies, mais bien comme une forme de malédiction.

Pour le dire de manière moins radicale et peut-être plus politiquement correcte : la maternité est généralement une bénédiction qui s’accompagnent souvent de tout un lot de malédictions. Et certaines situations de vie en font un véritable cauchemar. Ainsi, si le faire-part que j’ai reçu annonce un heureux événement, ailleurs, c’est un « événement » redouté, imposé, nié, refusé. Et il m’est impossible, à ce stade, de ne pas penser au livre qui porte ce titre, L’événement, dans lequel l’écrivaine Annie Ernaux relate le parcours d’une jeune étudiante pour interrompre une grossesse qu’elle n’a pas désirée. Le récit est poignant. Alors non, « tu seras bénie par la maternité », ce n’est pas une phrase qu’on peut dire à toutes, loin de là.

Marie, voie nouvelle plutôt que modèle

Peut-on même la dire à Marie, elle qui a défié les conventions de son temps en tombant enceinte hors mariage ? Tout s’est finalement bien passé, me direz-vous, mais elle a risqué le déshonneur, pour ne pas dire sa vie ! En a-t-elle seulement eu le choix, d’ailleurs ? Cette question, à l’heure où l’on discute abondamment les questions de consentement, est troublante – n’oublions pas que durant des siècles, c’est sur la soumission de Marie que l’on a insisté, par opposition à l’attitude d’Eve, qui, elle, parle au serpent de la Genèse et finit par se laisser convaincre de transgresser l’interdit de Dieu. On comprend que l’opposition entre ces deux figures sert à faire des femmes des êtres intrinsèquement liés à la maternité, à la soumission, au silence.

Alors certes, Marie n’est pas devenue, dans le protestantisme, une figure aussi importante que dans d’autres confessions. Mais elle participe de cette construction théologique qui fait que les femmes seraient en quelque sorte « réduites » à la maternité, leur seule voie de salut. Cette manière de construire le féminin se retrouve d’ailleurs largement au-delà d’Eve et de Marie : les figures féminines sur lesquelles la tradition a insisté entrent bien souvent dans un cadre binaire : elles sont bénies ou maudites, glorifiées ou pécheresses, jeunes filles ou épouses, vierges ou prostituées. Binarité bien pratique qui rend conditionnel l’accès des femmes à la parole et à la liberté.

Le cas de Marie, cependant, peut être exploré plus avant. Car en fait, elle est particulière : vierge et mère, elle incarne une forme paradoxale de l’injonction à la maternité, un idéal que l’on ne peut atteindre. En étant à la fois vierge et mère, elle défie toute catégorie.

Avec cela cependant, on peut esquisser une voie de salut – une vraie cette fois ! Le paradoxe de la grossesse de Marie, celui de la naissance de Jésus, nous invite à sortir de ces binarités, pour tracer des chemins nouveaux, des voies où ce qui apparait comme une contradiction est en réalité unifié par le regard de Dieu, qui défie toutes nos catégories. Car ces oppositions, ces binarités, sont avant tout humaines ! Dieu sait bien que la réalité est plus complexe, et que lui seul détient la clé de la vie et de la mort.

La maternité : quand vie et mort se côtoient au cœur de notre humanité

On peut ici se rappeler que les choses ne sont jamais aussi claires que nous le voudrions. La naissance, par exemple, ne rime pas forcément avec vie ! L’existence du viol montre bien par exemple que la pulsion de mort, qui consiste à nier l’autonomie de l’autre, peut être à l’origine d’une naissance. Ce constat de la vie et de la mort qui s’entremêlent se retrouve dans la fragilité inhérente qu’impliquent les débuts de la vie : fausse couche, enfant mort-né, décès du nourrisson, mort en couche, toutes ces situations invitent à reconsidérer l’évidence de la vie lorsqu’on évoque la naissance.

En théologie chrétienne aussi, la question est plus subtile qu’il n’y parait. En effet, donner la vie, c’est accepter la mort ; naître, puis vivre, c’est partager le destin d’une humanité marquée par la finitude, dans un monde frappé du sceau du péché. La tragédie de la croix en est la preuve, malgré son dénouement final, qui est heureux : Marie, à la croix, subit la mort de cet enfant qu’elle a aimé et à qui elle a donné naissance.

Le sens du salut par la maternité

On le comprend bien maintenant : la construction argumentative qui consiste à faire d’Eve l’archétype de « la femme » pécheresse, qui serait rachetée en Marie, archétype de « la femme » bénie entre toutes, cela participe à une construction binaire qui pousse au glissement théologique : celui de faire de Marie l’ultime modèle de salut pour toute femme. Car il faudrait imiter l’une pour ne pas être associée à l’autre.

Il est là, le problème théologique : faire de leur maternité la voie de salut des femmes. L’affirmation chrétienne, (j’oserais dire, la vraie), c’est dire que l’humanité est sauvée par la maternité, mais par la maternité de Marie. Hommes, femmes, toute personne quel que soit son genre, tout le monde est invité à regarder vers le Christ. Ce récit de naissance n’est extraordinaire que parce qu’il raconte la naissance du sauveur ! Elle est là, la véritable bénédiction ! Des récits de naissances miraculeuses, il y en a des centaines de milliers. Mais ici, le miracle n’est pas l’enjeu en lui-même.

La maternité, dans ces textes, est en fait à comprendre comme appartenance à l’humanité, parce que nous avons tous et toutes une mère, et Jésus aussi. Cela redonne du sens à la maternité biblique pour ce qu’elle est, une manière de dire la bénédiction de Dieu sur le monde, de dire son amour pour les humains, son envie de les voir grandir et évoluer. Être mère dit une relation, mais ce n’est pas la seule qu’il vaille la peine de vivre et que Dieu aspire pour nous !

Avec le Christ, l’enjeu n’est pas de savoir si la maternité est une bénédiction ou non, il est se replacer et de replacer les personnes devant Dieu, comme Marie de Nazareth face à l’ange messager de Dieu, comme Marie de Magdala au tombeau vide, mais aussi toutes les femmes, tous les hommes, toutes les personnes qui ont un jour remis leur cœur et leur pensée dans les mains de Dieu et qui ont été mises en route par lui.

Pour le reste, il me semble que l’attitude du Christ l’a montré. Il n’a pas condamné la prostituée, il n’a jamais proclamé de supériorité de l’homme sur la femme, il a conversé, écouté, accueilli, mis en marche des femmes, y compris des non-vierges, des non-mères, des étrangères à sa culture, des femmes hors des cases acceptables de la société. Et il a lui-même adopté des comportement associés aux femmes : s’il y a un archétype du service et de l’acceptation radicale de son destin, c’est bien lui ! Mais il nous a montré que ce n’était pas lié à un sexe, à un genre particulier, et que ce pouvait être vécu de façon libre, libérée, entière.

Et nous, finalement ?

Il s’agit donc pour chacun, chacune de nous de redevenir des sujets vivants et agissants, multiples et perclus de contradictions bien sûr, mais évoluant au sein d’une création aimée de Dieu. Vie et mort se côtoient et parfois se mélangent, mais quoi qu’il en soit, vivre, c’est se retrouver, d’une manière ou d’une autre, dans les bras aimants de la bénédiction de Dieu.

Et pour celles et ceux qui se retrouvent confronté-e-s à un choix de vie, quel qu’il soit, il y a un appel à décider, et décider c’est le faire devant Dieu, c’est-à-dire en conscience, tout en ayant conscience que certaines choses nous échappent et que nous n’avons pas prise sur tout. Ce dont nous pouvons être certaines, certains, c’est que Dieu sait ce que nous ne savons pas et accueille ce qui nous est difficile. Lui qui est parent infatigable et aimant, il nous accompagne, quel que soit le chemin.

Amen